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Philippe Askenazy: «30 à 50% des actifs exposés à des risques professionnels»

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24042010

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Philippe Askenazy: «30 à 50% des actifs exposés à des risques professionnels» Empty Philippe Askenazy: «30 à 50% des actifs exposés à des risques professionnels»




mediapart.fr

«Pénibilité». Pas un responsable de parti à gauche, pas un syndicaliste qui n'invoque la pénibilité au travail comme un sujet majeur de la réforme des retraites à venir. La question sera d'ailleurs abordée dans le projet de loi, affirme le cabinet d'Eric Woerth. Sacré casse-tête. Depuis trois ans, syndicat et patronat ne sont pas parvenus à se mettre d'accord: comment la prendre en compte? Quelles compensations accorder? Qui doit payer?

Philippe Askenazy, chercheur au CNRS et spécialiste du travail, craint un consensus a minima. Qui institutionnalise et indemnise les pénibilités les plus visibles, tout en occultant les autres. Pourtant, rappelle-t-il, «entre un tiers et la moitié des actifs sont exposés à des risques qui participent d'une réduction potentielle de l'espérance de vie ou de l'espérance de vie en bonne santé».


La «concertation» retraites va comporter un volet “pénibilité”, dossier en souffrance depuis des années. Peut-on s'inspirer de l'exemple d'autres pays pour sortir de cette impasse?

Pas vraiment: aucun pays ne dispose d'un système automatique de prise en compte explicite de la pénibilité. En revanche, dans de nombreux pays, des formes de préretraites existent pour les professions qui ont une très forte exposition: les mineurs, les salariés exposés à l'amiante...

En France, lors de la réforme des retraites de 2003, on a voulu définitivement abandonner cette logique et tenter de créer un système de prise en compte de la pénibilité. Plusieurs années après, syndicats et patronat ont défini la pénibilité au travail (*) mais n'ont pas réussi à aller plus loin. S'ils ont échoué, c'est probablement parce que cette tentative était une mauvaise idée.

Pourquoi?

Hormis l'amiante, qui est associé à une pathologie caractéristique, le mésothéliome, l'exposition professionnelle n'est qu'un facteur parmi d'autres dans la survenue de pathologies. A l'étranger, lorsqu'on a discuté d'une prise en compte des pénibilités, la question de la frontière entre risques liés à une exposition professionnelle et autres risques a toujours été un obstacle.

Par ailleurs, ces tentatives ont buté sur des effets pervers. Introduire le sujet de l'espérance de vie au sein de l'entreprise comporte des risques de dérapage. Ainsi, les employeurs peuvent considérer que parce qu'ils ont une responsabilité directe sur l'espérance de vie (et non plus seulement la santé et sécurité), leurs salariés deviennent eux aussi responsables de leur propre espérance de vie. Et qu'ils doivent se conformer, par exemple, aux politiques diététiques mises en place au sein des entreprises... Ce qui peut justifier des politiques discriminatoires vis-à-vis des personnes obèses!

Discussion d'apothicaires...

Faudrait-il alors renoncer à traiter la pénibilité au travail?
Au contraire! Le fait qu'il y ait ce débat est révélateur de l'ampleur des atteintes à la santé dues au travail. Si l'on prend en compte l'ensemble des expositions qui ont un impact significatif sur la santé, entre un tiers et la moitié des actifs sont exposés à des risques qui participent d'une réduction potentielle de l'espérance de vie ou de l'espérance de vie en bonne santé.

Un quart de la population active pourrait être exposée à des produits très dangereux, dits CMR (cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques). Autour de 3 millions de travailleurs sont exposés de manière régulière à des cancérogènes, dans l'industrie mais aussi dans les services – le secteur de l'entretien utilise des produits chimiques puissants, dangereux à long terme.

L'organisation du travail est aussi source de dangers: au-delà de 40 ans, le travail de nuit a des effets permanents sur les troubles du sommeil, eux-mêmes associés à toutes sortes de pathologies, notamment cardiaques. Le groupe d'experts du ministère du travail a défini une série de risques psychosociaux associés scientifiquement à une plus grande survenue de pathologies, par exemple cardiaques, et donc à une plus grande mortalité.

Le nombre de personnes concernées par ces expositions est tout à fait considérable. Mais on peut craindre que cette réalité ne va pas être prise en compte...

Pourquoi un tel pessimisme?

L'accumulation d'un savoir sur le sujet est une chose, l'élaboration politique en est un autre. Or, pour des raisons financières, l'Etat refusera de compenser toutes les pénibilités. Le patronat veut, c'est naturel, détourner cette démarche. Il entend sélectionner certaines pénibilités qui donneront droit à des préretraites, mais dans certaines industries seulement.

Les syndicats de salariés risquent de succomber à des logiques clientélistes, en privilégiant les pénibilités présentes massivement dans les secteurs qui concernent leurs adhérents. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les discussions entre les partenaires sociaux sont au point mort depuis des années: le principe de réparation est dévoyé pour entrer dans un cadre financier acceptable.

Pour faire passer la réforme globale en cours, le gouvernement voudra certainement faire un geste, par exemple en offrant des trimestres de retraite supplémentaires pour certaines activités. Va donc s'ouvrir une discussion comptable, où les partenaires sociaux vont essayer de cerner quelques pénibilités, les plus faciles à identifier... Mais pas nécessairement celles qui amputent le plus l'espérance de vie.

«La prévention doit primer»

A quoi pensez-vous?

Certaines pénibilités comme le travail de nuit seront probablement retenues, tout comme l'exposition à certains produits chimiques, mais au-dessus de certains seuils, dans certaines industries. On va faire de la sélection sur une base qui n'est pas nécessairement scientifique, mais comptable et/ou liée aux intérêts bien compris des uns et des autres. L'ambition affichée est moindre que celle qui devrait être recherchée. La prise en compte de la pénibilité telle qu'elle se dessine promet d'être injuste et de ne couvrir qu'une partie des actifs... Par exemple, les risques psychosociaux ne seront pas pris en compte.

Pire, ce système échouera à résorber des inégalités criantes. Le débat sur l'espérance de vie ne doit pas masquer un autre critère, essentiel: l'espérance de vie en bonne santé. La retraite n'a de sens que dans une situation de bonne santé. Or, en se concentrant sur l'espérance de vie, on occulte la réalité des inégalités.

Entre un homme cadre et un homme ouvrier, la différence d'espérance de vie est de sept ans. Mais la différence d'espérance de vie en bonne santé est de dix ans. C'est dire si le facteur travail a un effet multiplicateur des inégalités liées aux différences de revenus (accès aux soins qui deviennent de plus en plus onéreux, logement) ou aux comportements (tabac, etc.). De façon plus significative encore, l'espérance de vie en bonne santé d'une femme ouvrière est moindre de 3 ans par rapport à une femme cadre, alors que leur espérance de vie est similaire...

Vous expliquez souvent que la prévention pourrait résoudre une partie des problèmes...

C'est une question cruciale. Lorsqu'on évoque la pénibilité, il n'est question que de réparation, rarement de prévention. Pourtant, l'exposition aux risques n'est pas une fatalité: le travail de nuit, s'il est stoppé à 40 ans, n'a que peu d'effets néfastes de long terme. Si on assure une mobilité de ceux qui travaillent la nuit, on résout une grande partie du problème.

L'indemnisation des pénibilités peut même générer des effets pervers. Par exemple, ne considérer que le seul volet “réparation” de la pénibilité du travail de nuit par des trimestres de retraite supplémentaires risque paradoxalement de “valoriser” le travail de nuit au-delà de 40 ans car il permettra de partir plus tôt; quant aux entreprises, elles ne seront pas encouragées à faire évoluer leurs pratiques...

Cette logique est, malheureusement, déjà présente dans certains secteurs de l'industrie, où des expositions à certains produits chimiques donnent lieu à des primes d'exposition. Au sein des comités d'hygiène et de sécurité (CHSCT), les salariés eux-mêmes rechignent à les remettre en cause car cela reviendrait à mettre en cause un acquis social. Il s'agit d'une machine infernale, que l'Etat et les partenaires sociaux risquent d'institutionnaliser, au risque de créer les obstacles d'une future politique de prévention.

Que préconisez-vous pour sortir de l'impasse?

Les préretraites étaient certes très discutables car elles ont été instrumentalisées par les entreprises pour faire partir les salariés âgés, mais elles permettaient à des salariés usés par le travail de partir tôt en retraite. Inspirons-nous alors de ce système disparu pour compenser les pénibilités actuelles, déjà subies, celles des actifs d'aujourd'hui.

Parallèlement, établissons une liste distinguant les pénibilités qui peuvent être évitées par la prévention et l'information; celles pour lesquelles on peut diminuer le risque; celles enfin qui sont inévitables et doivent donc donner lieu à des trimestres de retraite supplémentaires. Il n'est pas normal que des millions de salariés soient aujourd'hui exposés à des cancérogènes sans une formation adéquate. La prévention doit primer.
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Régis

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Date d'inscription : 13/04/2009

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