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Retraite: et encore un rafistolage !

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17062010

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Retraite: et encore un rafistolage ! Empty Retraite: et encore un rafistolage !




mediapart.fr

Eric Woerth a présenté, mercredi 16 juin, la réforme des retraites. Annonce-phare: le recul de l'âge légal de 60 à 62 ans d'ici 2018, à raison de quatre trimestres par an. Le projet sera présenté en juillet au conseil des ministres, soumis à l'Assemblée nationale en septembre et au Sénat en octobre. D'ici là, le 24 juin, les syndicats appellent à une nouvelle journée de manifestations. Et tablent sur une forte mobilisation à la rentrée.

Le gouvernement parle d'une réforme «juste», qui permettrait d'afficher un déficit «zéro» en 2020, horizon de la réforme. Il souligne que le recul de l'âge légal est compensé par la taxation des plus aisés: hausse d'un point de la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu, stock-options, etc.

Cliquer ici pour télécharger le projet gouvernemental (pdf)

En fait, ces nouvelles rentrées financières ne représenteront que 2 milliards d'euros en 2018, alors que le recul de l'âge légal à 62 ans pour le privé et les fonctionnaires fera mécaniquement entrer 19 milliards supplémentaires dans les caisses des régimes de retraite! «85% de l'effort est supporté par les seuls salariés», résume François Chérèque (CFDT).

L'équilibre financier n'est pas assuré. Il faudra très vite une autre réforme... Celle-ci s'apparente d'abord à un rafistolage, destinée avant tout à confirmer dans les esprits la posture réformatrice de Nicolas Sarkozy. Et peut-être à ancrer l'idée que, face à la retraite, chacun devra désormais se débrouiller seul avec son épargne. A court terme, elle touchera d'abord les plus modestes. Décryptage

La retraite à 67 ans?

L'allongement de la durée d'activité, gros morceau de la réforme, concentre la plupart des critiques.

Dans le public et le privé, l'âge légal de départ en retraite, 60 ans aujourd'hui, sera porté à 62 ans d'ici 2018, à raison de 4 trimestres par an. Les Français nés en 1951 cotiseront donc 60 ans et 4 mois, etc. Les personnes nés avant 1951 ne sont pas concernées. Les premiers à partir à 62 ans seront les Français nés en 1956, qui pourront partir en retraite en 2018 au plus tôt.

L'âge de départ à taux plein est décalé également, de 4 mois par an à partir de 2016. Pour obtenir automatiquement une retraite sans décote, il faudra donc travailler jusqu'à 66 ans en 2019 et jusqu'à 67 ans en 2023.
La durée de cotisation continue d'augmenter : 41,5 ans en 2020 (c'est 40 ans aujourd'hui, et 41 ans dès 2012).
Le dispositif carrières longues est maintenu... mais raboté. Les personnes qui avaient travaillé avant 18 ans pouvaient jusqu'ici partir plus tôt, à condition d'avoir cotisé 42 ans. Pour ceux nés en 1956 et après, il sera impossible de faire valoir ses droits à carrière longue avant 58 ans, et il faudra avoir validé 43 ans minimum. Selon le gouvernement, 90.000 personnes seront concernées chaque année.

Syndicats, partis de gauche et certaines voix à droite dénoncent une réforme «injuste». La CGT la trouve «brutale, un recul social». «Quasiment une provocation» pour la CFDT. «Cette mesure pénalisera avant tout les salariés aux périodes d'activité incomplètes», dit l'Unsa. Martine Aubry en dénonce «l'injustice et l'irresponsabilité». Robert Rochefort (Modem): «Le gouvernement a (...) fait le choix d'une réforme dure.»

«Ce projet est d'une iniquité révoltante, disent les Verts. Les plus modestes seront les plus touchés: ceux qui ont commencé à travailler tôt et qui n'ont pas fait d'études, tous ceux qui auront connu de longues périodes de chômage et n'auront jamais droit à une retraite décente.» «Ce sera bel et bien aux classes moyennes et populaires que le fardeau sera infligé!», estime le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan.

L'injustice tient d'abord dans le relèvement simultané de l'âge d'ouverture des droits (60 ans aujourd'hui) et de celui de l'âge de départ à taux plein, sans décote (65 ans).

Les différents âges de la retraite :

Retraite: et encore un rafistolage ! Ages_retraite

©️ Terra Nova

A long terme, l'âge légal à 60 ans sera vidé de sa substance, hausse continue de la durée de cotisation et entrée plus tardive des jeunes sur le marché du travail obligent. Mais à court terme, ce recul va avoir de lourdes conséquences. Il va obliger ceux qui ont déjà aujourd'hui tous leurs trimestres à 60 ans à continuer à travailler. Ils sont nombreux : selon la Cnav, 63% de ceux qui ont fait valoir leurs droits à 60 ans en 2009 avaient 4 trimestres de trop, un sur deux avait même cotisé huit trimestres. Et ce sont souvent des ouvriers ou des employés.

Ceux qui ont commencé encore plus tôt (encore des Français modestes) vont également voir leurs droits évoluer. S'ils ont travaillé dès 17 ans, ils pourront certes partir à 60 ans ou avant... mais à condition d'avoir validé 43 ans. Malheur à ceux qui ont commencé à 18 ans : ils ne sont pas concernés par le dispositif. Et devront donc cotiser 44 ans, jusqu'à l'âge légal!

Par ailleurs, les salariés français quittent en moyenne le marché du travail à 58,5 ans mais ne liquident leur retraite que trois ans plus tard, en raison d'un fort taux de chômage des seniors. Jusqu'à la retraite, beaucoup connaissent une période de chômage ou d'inactivité, parfois de maladie ou d'invalidité. La réforme à venir va donc prolonger la «zone grise» de la précarité, pour reprendre une expression de Sud.

Quant au relèvement de la deuxième borne, il va pénaliser les femmes, les intérimaires, tous ceux qui ont eu des carrières hachées et continuaient jusqu'à 65 ans histoire de bénéficier d'une retraite à taux plein. C'est le cas d'une femme sur trois. Il leur faudra donc travailler deux ans de plus en 2016.

Dernière limite : le gouvernement avait promis des réformes pour ceux (un salarié sur 4) qui ont cotisé à plusieurs régimes et s'en retrouvent pénalisés. Ils attendront.

Certes, le gouvernement justifie sa réforme par les gains (indéniables) d'espérance de vie et l'exemple des pays étrangers, qui ont tous un âge légal supérieur à celui de la France. Mais il oublie de mentionner que des différences importantes subsistent: un ouvrier vit en moyenne 7 ans de moins qu'un cadre. Il omet aussi de préciser que la France est le seul pays à jouer à la fois sur le recul de l'âge légal et la durée de cotisation, ce qui fait de son régime de retraite un carcan très rigide.

En fait, reculer l'âge de la retraite permet d'abord d'économiser près de 7 milliards d'euros de pensions qui ne sont pas versées. Voilà pourquoi, à gauche, beaucoup disent que la réforme va transformer «de jeunes retraités en vieux chômeurs» Il s'agira surtout d'un tour de passe-passe financier, qui allégera les caisses de retraite pour mieux plomber les comptes de l'assurance-chômage.

Les fonctionnaires aussi... mais pas les régimes spéciaux

*Leurs cotisations sociales seront alignées en 10 ans sur celles du privé (de 7,85% à 10,55%).

*Le calcul de la pension reste basé sur les 6 derniers mois, vu les «différences dans les modes de rémunération» avec le privé et les primes, pas toutes comptées dans le calcul des pensions.

*Dès 2012, les parents de 3 enfants ne pourront plus partir après 15 ans de service.

*Alignement des règles d'obtention du "minimum garanti" sur celles du privé: il ne faudra plus seulement être âgé de 60 ans, mais avoir tous ses trimestres ou l'âge du taux plein.

Pour Eric Woerth, la hausse des cotisations pour les fonctionnaires ne représente qu'une «atteinte assez modérée au pouvoir d'achat», «totalement absorbable par des évolutions des règles catégorielles et des grilles de salaire». L'Unsa fonction publique demande à l'Etat de s'engager à les compenser.

*Les régimes spéciaux sont concernés... mais à partir de 2017 seulement
Pour eux aussi, l'âge légal augmentera... mais pas avant plusieurs années, le temps que la réforme des régimes spéciaux qui date de 2008 soit définitivement entrée en vigueur. Les conducteurs de train continueront donc à partir à 50 ans d'ici là. L'Elysée n'a pas voulu les braquer, afin d'éviter qu'ils ne se mobilisent.

Seniors: le grand bluff

Le report de l'âge légal étant acté, les mesures sur les seniors étaient très attendues. Difficile en effet de contraindre les Français à travailler plus sans aider les plus âgés à se maintenir dans l'emploi. Le gouvernement s'est contenté de quelques annonces :

*D'abord, laisser-faire : l'exécutif est persuadé que le taux d'emploi des seniors va mécaniquement augmenter avec le recul de l'âge légal.

*Une exonération de charges d'un an pour toute embauche d'un chômeur senior.

*Le tutorat «pour assurer une transmission des savoirs au sein de l'entreprise et favoriser une fin de carrière plus valorisante».

Sur ce sujet, le gouvernement se montre très idéologique, loin du «pragmatisme» revendiqué par Eric Woerth. Sur toutes ces mesures, les spécialistes de l'emploi des quinquas sont sceptiques.

Il n'est pas mécanique qu'un recul de l'âge légal favorise l'activité, qui dépend aussi du degré de volontarisme politique, du niveau de formation des plus de 45 ans et de la qualité des conditions de travail. De même, selon Monika Queisser, spécialiste des retraites à l'OCDE, «un senior revient très difficilement sur le marché du travail quand il l'a quitté». Les exonérations de charge pourraient donner lieu à des effets d'aubaine, sans pour autant changer fondamentalement la situation des quinquas au travail.

Pénibilité : 10.000 personnes par an!

La retraite à 60 ans est maintenue pour les salariés pouvant justifier d'une pénibilité.

Cette "pénibilité" est définie de façon très restreinte: il faudra prouver une incapacité physique supérieure à 20%, résultant d'une «usure professionnelle constatée», c'est-à-dire une maladie professionnelle reconnue ou un accident du travail.
La pénibilité sera évaluée au cas par cas par un médecin. Il n'y aura donc pas de liste des métiers pénibles, que les syndicats réclamaient.
Bel effet de manche! De fait, la pénibilité fait son entrée dans le dispositif retraites, après des années de tergiversation entre partenaires sociaux. Mais la pénibilité façon Woerth, qui permettra en fait aux personnes concernées de partir... au même âge qu'aujourd'hui, est vraiment très restreinte: seules 10.000 seraient concernées en 2010.

Problème: à côté des maladies professionnelles, listées dans des tableaux élaborés par le ministère du travail, il y a une foule de maladies à caractère professionnel qui ne sont pas reconnues mais handicapent les salariés au point qu'elles nécessiteraient des aménagements de postes ou un changement d'activité.

De plus, des millions de salariés sont exposés à des risques professionnels. Ceux qui travaillent la nuit, et n'en présentent a priori pas de marques physiques (sauf que les études épidémiologiques prouvent que le travail de nuit après 40 ans est néfaste pour la santé). Ou encore les trois millions de Français confrontés quotidiennement à des produits cancérigènes ou toxiques (les "CMR"). Pour eux dont la maladie peut se déclarer des années après l'exposition, donc parfois à la retraite, rien n'est prévu. «Ce n'est pas une position idéologique, mais tout simplement le constat du fait que nous ne disposons aujourd'hui d'aucun moyen pour apprécier de façon rigoureuse à partir de quel seuil d'exposition la probabilité d'être malade devient une quasi-certitude», explique Eric Woerth.

«Le gouvernement exclut du dispositif un maximum de victimes du travail», s'inquiètent l'Association nationale des victimes de l'amiante et la Fnath. Comme par exemple les personnes dont la santé mentale est affectée par l'organisation au travail ou victimes de harcèlement moral, dont les dossiers de reconnaissance de maladies professionnelles sont souvent rejetés...

«Notre objectif, c'est l'équilibre. Ce n'est pas moins de déficit, c'est un déficit zéro en 2018»

C'est l'engagement solennel d'Eric Woerth. Il paraît difficile à tenir. Une addition suffit pour s'en rendre compte :

Report de l'âge légal : + 19 milliards d'euros en 2020
Hausse des cotisations sociales dans le public, suppression d'avantages familiaux : + 4 milliards
Taxes sur les entreprises (notamment annualisation des allégements de charges sociales) : + 2,7 milliards
Contribution des hauts revenus et des revenus du capital : + 2 milliards d'euros
Basculement (hypothétique, si la croissance le permet) des cotisations-chômage vers les caisses de retraite : 1 milliard d'euros

Au total, on arrive péniblement à 29 milliards. Or en 2020, le déficit cumulé des régimes de retraite s'éleverait à entre 40 et 48 milliards selon le conseil d'orientation des retraites. «Il manque 15 milliards d'euros», explique Danièle Karniewicz, présidente du conseil d'administration de la Cnav. Et après 2018? Là, c'est carrément le silence. «Le trou noir», ironise Martine Aubry. Difficile d'imaginer que ce manque de perspective aide les plus jeunes, qui croient d'ores et déjà que leurs retraites seront faibles et qu'ils travailleront longtemps, à se sentir concernés.

D'autant que pour l'après-2020, le défi financier reste entier : les déficits ne devraient cesser de se creuser après 2020. Voilà pourquoi Danièle Karniewicz croit judicieux de demander dès maintenant des ressources supplémentaires, par exemple la hausse de la CSG. «On sait très bien qu'il va falloir élargir les assiettes de financement au-delà des seuls salaires et que c'est comme cela que l'on arrivera à financer non seulement les retraites mais toute la protection sociale», dit-elle sur BFM. Le débat du financement ne fait donc que commencer...
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Régis

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Retraite: et encore un rafistolage ! :: Commentaires

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Message Jeu 17 Juin - 2:17  Régis

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Inégalitaire. S'il faut résumer d'un mot la réforme des retraites que le ministre du travail, Eric Woerth, a présentée, mercredi 16 juin, c'est assurément celui-là qui vient à l'esprit. Car l'Elysée et le gouvernement avaient à leur disposition deux grands leviers essentiels pour surmonter le choc démographique qui se profile et qui menace l'équilibre des régimes de retraite par répartition: mettre à contribution et le travail et le capital. Or, c'est le trait distinctif du plan qui a été arbitré par Nicolas Sarkozy: le premier est accablé tandis que le second est très largement épargné.

Un rapide examen des efforts demandés aux uns et aux autres permet d'en prendre la mesure. La mesure prévoyant le relèvement de 60 ans à 62 ans de l'âge légal du départ à la retraite, qui est la mesure phare du projet gouvernemental et qui pénalisera lourdement les salariés, rapportera à elle seule près de 19 milliards d'euros, à l'horizon de 2018, selon les projections officielles du gouvernement. Or, par comparaison, la totalité des recettes nouvelles qui pèseront sur les hauts revenus ou sur le capital n'atteindra que 3,7 milliards d'euros en 2011 et 4,6 milliards d'euros en 2020.

Retraite: et encore un rafistolage ! GrafK

C'est donc la première mesure de l'iniquité du plan: comme l'établit le tableau réalisé par le gouvernement (la version intégrale du plan peut être téléchargée ici ), il sera donc demandé cinq fois plus au travail qu'au capital. Pour être précis, et isoler les mesures spécifiques nouvelles qui vont peser sur le capital, il faut même déduire des 4,6 milliards les taxes qui seront à la charge des ménages fortunés et ne retenir que celles à la charge des entreprises. Dans ce cas, on parvient à un partage des efforts encore plus déséquilibré: en face des 19 milliards d'euros qui seront à la charge des salariés, on ne trouve que 2,650 milliards d'euros à l'horizon de 2020 qui seront à la charge des entreprises. Dans ce mode de calcul, le rapport n'est donc plus de un à cinq mais de un à huit.

L'iniquité de ce dispositif se confirme quand on examine le plan dans le détail. Car la plupart des mesures qui y figurent présentent la même caractéristique: elles sont de portée purement symbolique. Savant calcul! Le chef de l'Etat en attend visiblement un effet majeur de communication pour un effet économique nul ou presque. C'est en quelque sorte de la fiscalité Canada dry: cela a l'apparence de taxes sur les hauts revenus et sur le capital, cela en a l'odeur et la saveur; mais en réalité, cela n'en est pas. Pas du tout...

Prenons à titre d'exemple les stock-options. Au travers de cette réforme des retraites, le gouvernement avait l'occasion de moraliser enfin un système qui a connu d'invraisemblables abus. A de nombreuses reprises, la Cour des comptes l'y avait d'ailleurs invité. Et de l'affaire Elf jusqu'à l'affaire Antoine Zacharias-Alain Minc, l'opinion, qui avait été légitiment choquée par des cascades de scandales, avait pesé dans le même sens. Or, on voit ce que prévoit le gouvernement: une mini-mini taxe qui rapportera tout juste 70 millions d'euros en 2011. Une misère! Autant dire rien du tout. La totalité des plus-values potentielles du seul Bernard Arnault, patron de LVMH, sur ses stock-options est actuellement évaluée à près de 100 millions d'euros. C'est dire si le gouvernement a pris une mesure dérisoire...

Une logique seulement d'affichage

La mesurette sur les retraites-chapeau – autre scandale qui défraie périodiquement les milieux du CAC 40 – ne vaut guère mieux: elle générera elle aussi moins que rien. Tout juste 110 millions d'euros.

Quant à la dernière mesure, celle prévoyant de relever de 40 à 41% le taux marginal de l'impôt sur le revenu, elle ne fait pas plus illusion. D'abord son gain est aussi microscopique: 230 millions d'euros. Et surtout, il s'inscrit dans une logique d'affichage. Car, en France, les vraies inégalités sont évidemment beaucoup plus celles face au patrimoine que celles face aux revenus. En supprimant presque totalement les droits de succession en 2007, et en relevant de 1% le taux supérieur de l'impôt sur le revenu, Nicolas Sarkozy sait donc pertinemment ce qu'il fait: il a offert, dans le premier cas, un gros cadeau aux plus grandes fortunes, et va soumettre à une mini-taxe des contribuables parmi lesquels figurent d'abord les cadres.

En bref, cette réforme des retraites, c'est l'histoire du pâté aux alouettes: il n'est fait mention de taxe sur les hauts revenus et le capital que pour l'apparence. Et cette iniquité du dispositif est d'autant plus choquante que le gouvernement disposait d'un levier majeur avec la fiscalité du capital et de l'épargne, comme nous l'évoquions dans un «parti pris» récent (voir notre article Hypocrisies et leurres autour de la fiscalité du capital). Dans son contre-projet sur les réformes des retraites (que l'on peut consulter ici ), le Parti socialiste avait préconisé, lui, des réformes autrement plus hardies sur la fiscalité du capital et de l'épargne.

L'urgence de ce débat autour de la fiscalité de l'épargne et du capital se mesure à l'aune des politiques de déréglementation financière et fiscale que l'Europe a connues au cours des deux dernières décennies – politiques qui ont contribué à donner aux marchés financiers la force qu'ils ont aujourd'hui et qui ont, en proportion, affaibli les Etats et grippé leurs instruments de régulation et d'intervention.

Au fil des années, en France comme dans la plupart des autres grands pays européens, le partage de richesses créées par les entreprises s'est fait de plus en plus nettement en faveur du capital et au détriment du travail. Dans le courant des années 1980, la part des salaires a perdu près de dix points et celle des profits en a gagné d'autant. Et cette déformation n'a jamais été depuis corrigée.

Dans le même temps, sous le choc de cette déréglementation et sous celui de la mondialisation, la France a profondément modifié son système fiscal. A la faveur de la libération définitive des mouvements de capitaux survenue le 1er juillet 1989 – qui est au fondement de la crise d'aujourd'hui –, elle a ainsi mis presque à terre sa fiscalité de l'épargne, dans une fougue violemment ultra-libérale, qui a été un peu tempérée les années suivantes par des retouches successives. Remise en cause en plusieurs étapes de la progressivité de l'impôt sur le revenu, instauration d'une cascade de niches fiscales profitant aux plus hauts revenus, création d'un bouclier fiscal pour ces mêmes très hauts revenus, quasi-suppression des droits de succession, transformation de l'Impôt de solidarité sur le fortune (ISF) en un prélèvement gruyère grâce à de nombreux systèmes d'abattements, défiscalisation partielle de certains revenus sulfureux comme les stock-options ou les golden parachutes: toutes les années 1990 et 2000 ont été marquées par la chronique des coups de boutoir contre le système fiscal progressif et redistributif.

Une violente et injuste punition sociale

En 2001, dans son remarquable ouvrage sur Les Hauts Revenus en France au XXe siècle (Grasset), l'économiste Thomas Piketty décrivait déjà les risques potentiels de ces évolutions: le retour vers une société proche de celle du XIXe siècle – une société de rentiers. «Aussi incertaine soit-elle, l'idée d'un retour au XIXe siècle a cependant un certain nombre de fondements objectifs, écrivait-il. Tout d'abord, la transformation des systèmes productifs observée dans les pays développés au tournant du troisième millénaire, caractérisée par le déclin des secteurs industriels traditionnels et le développement de la société de services et des technologies de l'information, même si l'on manque évidemment de recul pour en apprécier la portée réelle (toutes les époques ont vu des secteurs anciens décliner et des secteurs nouveaux émerger), a probablement pour conséquence de favoriser un accroissement rapide des inégalités. En particulier, la très forte croissance enregistrée dans les nouveaux secteurs est sans doute de nature à permettre l'accumulation en un temps relativement bref de fortunes professionnelles considérables. Ce phénomène a déjà été observé aux Etats-Unis dans les années 1990, et on voit mal pourquoi il ne gagnerait pas l'Europe. De plus et peut-être surtout, la reconstitution au début du XXIe siècle de très gros patrimoines d'un niveau comparable à ceux de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle est fortement facilitée par l'abaissement généralisé des taux marginaux d'imposition frappant les revenus les plus élevés.»

Or, ces risques, que pointait voilà bientôt dix ans Thomas Piketty, se sont évidemment encore creusés dans l'intervalle. Dans une folle accumulation de dérégulation – fiscale, financière, monétaire... –, l'Europe, et la France avec elle, sont devenues de plus en plus otages des marchés.

A la faveur de la réforme des retraites, Nicolas Sarkozy avait donc l'opportunité de redessiner le partage entre capital et travail. Il a choisi de ne pas le faire, ce qui explique aussi la procédure à laquelle le gouvernement a recouru. Car si son intention avait été de parvenir à un nouveau compromis social entre le capital et le travail, de véritables négociations entre partenaires sociaux, sous la houlette de l'Etat, auraient été necessaires. Au lieu de cela, le gouvernement a préféré procéder par d'autres moyens, souvent discutables sinon détestables: coups de sonde dans la presse, rumeurs, indiscrétions, tractations en coulisse...

Le résultat a été révélé aujourd'hui par Eric Woerth. Il s'agit non pas d'une ambitieuse réforme s'insérant dans un nouveau projet de société, comme il en avait été à la sortie de la guerre de la création de la Sécurité sociale, mais d'une punition sociale aussi violente qu'injuste.

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